Tokyo, le 4 avril 2007
Nina-san, konnichiwa!
Je suis maintenant de retour à Tokyo. Niigata semble être un souvenir lointain même à quelques jours de distance. J’en suis content, car je craignais un peu le blues de l’après première.
Ah oui, la première… L’impression est étrange. Je suis très heureux de notre travail, je suis content de ce que j’ai écrit. La chorégraphie de Jo est encore une fois pleine d’inspiration et de trouvailles. Mais reste cette impression d’étrangeté. Le public a du mettre une vingtaine de secondes avant de commencer à applaudir, ce qui est extrêmement long. Mais une fois que les applaudissements ont commencé, ils n’ont plus arrêté. Je suis curieux de voir comment les gens réagiront ailleurs. On n’a pas fait salle comble, mais le public est venu nombreux. Comme je le disais dans le précédent mail, cette pièce n’est pas aussi évidente que l’était NINA (la précédente). Même en tant que compositeur je me surprends toujours à être déboussolé, confus pendant la première partie, puis pris émotionnellement dans la deuxième. L’exploration intérieure durant la création de l’œuvre se reflète dans le résultat final. Il n’y a rien de final même si les éléments du spectacle ont été très minutieusement préparés. Je pense que chacun peut se retrouver dans le spectacle et prendre ce qu‘il veut. Jo ou moi ne sommes que des guides dans ce monde dont nous avons entrouvert les portes. D’ailleurs les personnes à qui nous avons parlés étaient incapables d’exprimer leur impression. Elles avaient beaucoup aimé, mais semblaient perturbées. D’autres, bien sûr étaient enthousiastes, ou émues…
La voix d’Isabelle a fait merveille. Lors de la conversation avec le public qui a suivi la première, une charmante dame âgée, assise au premier rang juste en face de moi a demandé à prendre la parole. Elle est venue à la place de quelque un qui a eu un empêchement de dernière minute. Le spectacle l’avait beaucoup impressionnée, mais c’était surtout la musique qu’elle avait aimé, notamment le final avec l’aria de soprano. Elle a demandé qui était la personne qui chantait. J’ai donc brièvement raconté qu’Isabelle était au départ une actrice, que j’étais allé au théâtre avec Julia pour voir une pièce dans laquelle elle jouait et chantait, comment j‘avais été enchanté par sa voix, l‘amitié qui est née de cette rencontre, et les musiques qui sont nées de notre travail ensemble. J’ai terminé en qualifiant sa voix de ‘voix d’ange’.
La traductrice qui était assise derrière moi avait déjà été plus qu’approximative jusqu’à là - quand j‘arrivais à trouver un sens au flot de murmure que je recevais dans mon oreille gauche, mais la brièveté de sa traduction m’a fait sursauter.
‘C’est tout?‘ me suis-je écrié dans le micro.
En quelques mots tout était dit. Tada, ta dada, ta da, ta da, da. Point.
Jo est venu à la rescousse et a donné un peu plus de détails à une traduction qui, en fait, s‘avérait avoir été plus que sommaire: ‘Je l‘ai rencontrée, elle chantait, je l‘ai utilisée‘.
Et dire que cette personne est la traductrice officielle du théâtre…
Le second soir, j’ai demandé à voir le spectacle du côté scène. C’était ma première fois et je voulais quand même voir ce que Jo avait fabriqué derrière…
Je ne m’attendais absolument pas à une telle surprise. Jo s’est encore montré génial. Je devenais Alice devant le miroir et je pouvais apercevoir ce qu’il y avait dans l’autre monde, de l’autre côté de la scène.
Jo me disait qu’il voulait au départ créer une pièce qui soit plus joyeuse et plus ludique - d‘où le titre. Mais je me suis trouvé incapable de composer une musique qui reflète cet état d’esprit, et nous nous lamentions (en riant) que notre goût pour la mélancolie nous avait encore eus cette fois ci.
Cela dit, Jo a quand même réussi à créer pour ce côté ci un univers assez étrange et drôle. On n’éclate pas de rire, mais on sourit souvent. Encore une fois, j’ai été impressionné par son aptitude à saisir tous les sons et les phrases musicales pour s’en servir dans la chorégraphie.
Les personnes extérieures auraient du mal à faire le lien entre nous et notre travail. J’étais moi-même surpris de cette dichotomie entre le sérieux chorégraphe que j’avais rencontré pour la première fois il y a deux ans et la personne que j’ai découverte par la suite. Jo a ce sens du non-sens imaginatif et absurde qui est presque vital pour moi dans une bonne relation. Notre amitié continue à se développer et je sais que notre rencontre est de celles qui marquent.
Le dernier jour a été digne d’une remise d’Oscar, avec son quota de pleurs et ses moments d’intense émotion.
Alors que les danseurs saluaient le public, Jo est apparu avec des bouquets de fleurs. J’ai pensé qu’ils étaient destinés aux danseuses, comme c’est souvent la coutume. Mais Shintaro, Ayako et Yuuta, les trois danseurs qui se sont retrouvés avec un bouquet au bras étaient ceux qui allaient quitter la compagnie. En moins d’une seconde, une grande vague a traversé ma corps et des larmes ont commencé à couler sur mon visage. Je ne pouvais rien y faire. Les danseurs se sont retournés et ont salué le public côté scène. Shin et Ayako étaient en larme et ce fut le déclenchement d’un festival lacrymal pour tout le monde.
Lors de la conversation avec le public qui a suivi le spectacle, Jo lui-même n’a pu retenir son émotion et a presque du quitter la scène pour ne pas montrer ses larmes. Tout le public reniflait à n’en plus finir. C’était vraiment un étrange et intense moment qui aurait certainement paru surfaite au cinéma.
Nous nous sommes ensuite tous retrouvés à Nelson, un très agréable restaurant qui est devenu notre quartier général au fils des semaines, et qui était en fait une résidence secondaire d’un ancien maire de Niigata. Un assemblage de plusieurs modules à un étage, un salmigondis de différents styles architecturaux, japonais par ici, scandinave par là, américain là bas, anglais de l’autre côté… Mais l’architecte qui a remodelé l’ensemble a fait un excellent travail et le lieu est accueillant, confortable tout en étant dynamique et très au goût du jour.
Les cloches de Cendrillon ont sonné pour tout le monde à minuit, mais la soirée n’était pas encore terminée. Je devais aller récupérer mon vélo au théâtre pour le rendre à l’hôtel et je n’avais aucune envie de remettre ça au lendemain. Jo a offert de m‘accompagner, pour que l‘on puisse bavarder en cette dernière soirée. Tsuyoshi s‘est joint à nous, et nous avons continué, une fois de retour à l’hôtel, à parler jusqu’à 4h, confortablement installés dans les fauteuils de cuir rouge placés dans un coin du lobby. Tous les sujets ont été abordés; nos yeux se fermaient sous le coup de la fatigue, du sommeil, des mois de travail qui avaient trouvé leur résolution en ces trois derniers jours. Mais nous n’arrivions pas à nous dire au revoir. Un groupe de techniciens est revenu vers les 3h, titubant sous l’effet de l’alcool qu’ils avaient dû ingurgiter des heures durant. Et dire qu’ils font ça pratiquement tous les soirs!
Une femme de ménage qui finissait de passer l’aspirateur sur le grand escalier central nous a salués et demandé si nous n’étions pas des nouvelles recrues. Il était alors temps d’aller se coucher! Les lumières s’allumaient dans le hall, au premier étage.
Enfin voilà. Maintenant, je suis à Tokyo, et j’ai presque l’impression que l’épisode Niigata fait partie d’un autre temps.
C’est mon troisième jour, et j’ai bien envie de prolonger mon séjour ici.
Je suis content d’être chez Nolico. Je sors, je vois des amis, j’achète plein de cd… Je ne sais pas comment, mais la valise a pesé bien plus lourd au retour de Niigata… Pourtant…
En fait, le Japon est toujours une excellent occasion pour renouveler ma garde robe. Bonne taille, bonne coupe, bonne longueur…
Je ne suis pas asiatique pour rien. De plus, j’ai fort envie d’aller faire un tour à l’atelier de Yasuhiro Mihara, le styliste qui a créé les costumes pour PLAY 2 PLAY. J’avais vu sa collection hiver 2007 et j’ai plus qu’apprécié ses lignes et son utilisation des matériaux.
Je reviens d’ailleurs d’un excellent dîner avec lui, son attachée de presse et Tsuyoshi. Ils nous ont amenés dans un formidable restaurant bio situé dans le quartier de Harajuku. Je me pâmais à chaque bouchée… La nourriture est supposée être européenne, mais cette petite touche japonaise qu’ils ajoutent lui donne un goût encore plus subtil.
Demain, ils m’emmènent dans un restaurant coréen.
Sur ces quelques notes futiles, je m’en vais vous laisser. Comme je n’ai plus accès à internet de façon quotidienne - c’est fou comment on en est devenu esclave, je ne vais plus sur msn et j’écris beaucoup moins.
J’aimerais tellement que vous puissiez voir ce spectacle et partager ces moments avec moi. Je ne sais même pas s’il sera visible un jour en France. Cela me frustre un peu que ces projets qui représentent tant pour moi ne soient que de vagues mots pour vous, et que finalement, c’est à l’étranger que les choses les plus intéressantes se passent pour moi et que je peux donner cours à mon inspiration. J’en suis content et heureux, mais c’est comme si une partie de ma vie se détache maintenant de moi.
C’est peut être ce qui se passe, avec ces voyages qui se font de plus en plus fréquemment.
Je vous embrasse et espère que le mois d’avril s’achève bien. J’ai même oublié de regarder qui était passé au premier tour des élections - comme si c‘était impossible de deviner…
Allez, on va dire José Bové ou Arlette Laguillier?
A bientôt!
An
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